Le loup de Doncols – Den Donkelser Wollef

En vue d’abattre les loups qui sont à l’époque un fléau national, des récompenses sont offertes à partir du 10 messidor de l’an V (29 juin 1797). Pour une louve, une récompense de 50 FR. est accordée, pour un loup 40 FR. et pour un louveteau 20 FR. Pour un loup atteint de la rage, on reçoit même 150 FR. Pour prouver son acte, il faut remettre la peau de l’animal. Certaines personnes achètent des peaux de loup pour s’en parer, par exemple pour aller mendier ou faire du porte à porte. L’un de ces mendiants, qui fait également du porte à porte pour vendre des fruits et des paniers, est originaire de Bras, et s’installe par la suite à Doncols. Il sera plus tard surnommé « Donkelser Wollef » et se verra même consacrer un timbre dessiné par le prof. Foni Tissen. Ainsi, ce « Donkelser Wollef » traverse toute la région, popularisant l’expression « Bekannt wéi den Donkelser Wollef ». Comme il est très avide de lard, il s’adresse souvent aux taverniers par l’expression « En boké de lard si long, da man ech iech ee schenard vaon de Schinne vaon déi Echen », c’est-à-dire : « Donne-moi un morceau de lard si long que je pourrais en nouer un panier » et indique alors de ses bras le volume de lard réclamé.

Dans un rapport du sous-préfet de Diekirch Bostel du 18 nivôse de l’an II, on peut lire « Quant aux loups tués, il devrait être défendu de vendre leur peau aux pauvres, qui les achètent pour les aller promener et montrer au public et prennent à prétexte pour mendier ».

Franz Binsfeld traite du « Donkelser Wollef » dans l’un de ses poèmes paru dans son recueil « Hémechtsland » que nous avons reproduit ci-contre selon l’orthographe recommandée par le « dictionnaire luxembourgeois » car l’orthographe de l’auteur, qui a enseigné à Berlé de 1911 à 1914, était quelque peu capricieuse et difficilement lisible.

Dans le temps ce n’était pas pour rire au village d’entre les bois, ou il y avait encore des loups. Mais le dernier loup, c’était un pas comme les autres, un loup à deux jambes, un gai luron, plus connu au pays qu’une douzaine de vrais loups. Il n’était pas de Doncols mais de Bras et il jasait mieux le patois que le luxembourgeois. A Doncols il avait été berger et quand sa bergerie n’allait plus, il se mettait à courir les chemins comme colporteur, vendant des paniers à pommes de terre, à fruits et à linge qu’il tressait lui-même. Et des noisettes et des poires quelquefois, c’était pour les enfants: Pourquoi le nommait-on le loup? Mais c’est parce qu’il portait comme chapeau une peau de loup qui faisait casquette, capeline et caban en même temps. Une terrible bête qu’il avait tuée d’une grosse pierre, qu’il disait. A l’entendre il avait frappé ces meurtriers-là à la douzaine. Mais 1’affaire était tout autrement. Dans ce temps tous (les) ceux qui tuaient un loup, ils touchaient une prime de la commune. On n’avait qu’à montrer la peau, et on pouvait aller clincher de maison en maison pour avoir ses sous. Mais notre drôle de compère, il montrait toujours la même peau et quêtait chaque fois pour une autre bête. A la fin il ne changeait plus jamais de chapeau, comme si c’était devenu sa propre peau. Avec sa barbe c’était bientôt lui le loup. Les petites gamines tremblaient de peur en le voyant, mais il n’y avait pas de danger. Il aimait les garçonnets et les fillettes et il savait rire à tout moment. Même s’il neigeait à la porte et qu’il gelait à fendre des pierres, il s’esclaffait quant il frappait à votre fenêtre. (D’)où il était connu, il entrait par l’enclos ou même par la petite porte de la grange. Il paraît qu’il ait dormi dans tous les hangars du canton, avec les fouines et les corbeaux, tellement (que) sa tournée était grande. Il devait avoir une santé de fer à mettre les pieds dans toutes les eaux et à patauger dans toutes les flaques de boue sans avoir la goutte ni la toux. Pas même un rhume!

Et ses fables! Le premier loup, il lui aurait fendu la tête avec sa serpe, le deuxième, qui l’avait jeté à terre à la renverse, il lui aurait enfoncé son couteau dedans les tripes, au troisième il avait poussé la poigne dedans la gueule jusqu’à lui faire perdre l’haleine. « Et au quatrième », qu’il disait, « je voulais lui donner tellement un coup de pied qu’il serait mort de faim à la voie de saint Jacques (=voie lactée), mais il a pris ses jambes à son cul. » Des blagues et des petites besognes, c’était son métier. Il n’était pas paresseux. L’été il allait à la journée (=travaillait comme journalier), l’hiver il faisait son tour. C’était son existence. Toujours en route, au soleil, à la pluie et sur la glace. Il marchait comme un ours, sa hotte sur le dos, chargé comme une bourrique. Mais parfois il devait glisser comme un singe dans les ruelles. II n’était ni méchant ni difficile et jamais on ne l’aurait vu sale et crevé saoul dans une fosse à fumier. Une tartine et un bol de café le rassasiait. « Tout peut servir, disait le loup et il mâchait une mouche », qu’il disait. Il ne lui fallait pas du bouillon de boudin. Le pauvre qui n’a jamais trouvé son maître à mentir, il n’avait point d’ennemis. C’était un vieux célibataire sans famille. Beaucoup de fermières l’aurait pris pour la veillée et pour passer la nuit dans la remise. « Au revoir, le loup! » Et c’était bien souvent.

Personne ne sait ce qu’il est devenu. Il a laissé son petit nom au village. A côté des « verrats » de Bras, des « chiens » de Wardin, des « chabots » d’Harzy, des « écrevisses » de Benonchamps et des « bousiers » de Mageret habitent les « loups » de Doncols.

Den Donkelser Wollef

« De Pappa gung fort op de Maart,
Mai Kendchen, nu muss de mer schlofen.
Wat rubbelt am Haff un der Paart?
De Béisen, hei kennt en déch strofen! »
Un d’Fënsterche rëffelt de Baart
Séch den Donkelser Wollef. –

« De Wollef, kleng Mammi, as léif,
Dee kënnt nët, mat Rudden ze winne;
Ech schruf em dach d’lescht nach e Bréif,
E bréngt mer mai Kierfchen aus Schinnen;
Gutt Mammi, schneit déif an de Gréif
Fir den Donkelser Wollef. »

De Schéifer vu Briecht, e koum hell
Duurch d’Bierger, méi flénk wei vill Jonger;
Fir Palfong dem Wollef säi Fell,
Deem leschten, an drënner säin Honger;
Bei d’Heiser mat mierdrësche Knäll
Gung den Donkelser Wollef.

Am Wollefspelz stouch him gewëss
En Hierz voller Guttheet, deem Lousen;
E lackelt, trotz groussem Gebëss,
All Kanner vu Baaschtneck bis Housen
Mat Kierwercher, Biren an Nëss
Em den Donkelser Wollef.

An d’Hausfra, si wëscht an den Eck,
Si kickelt mam Kolla a schnëppelt
En deftege Krack an de Speck;
A wéi en rëm weider dann trëppelt,
Do laacht an de Baart séch de Geck;
O du Donkelser Wollef!

Dir all och, déi jachtelt duurch d’Land
A mengt, et keim keen iech derhanner,
Ze lackle, geduckt hanner d’Wand,
Em anere leiden hir Kanner;
Getréischt iech, dir all sit bekannt
Wéi den Donkelser Wollef.

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